Le Grappilleur

Le Grappilleur n°96

« La vérité que l’on trouve dans le vin redevient mensonge dans l’eau claire. »
(Jean Dypréau)
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Echos de la Baronnie

Ce chapitre de printemps fut une belle soirée, dans le cadre grandiose du château d’Aigle. Une ambiance festive mais solennelle aussi, puisque nous avons eu la chance d’adouber deux commandeurs. Dans le commerce on dirait un « duo-pack » deux pour le prix d’un !… Par contre ma voisine antillaise dirait : « Hé dis donc doudou t’as vu l’ado’able duo d’adoubés »… Félicitation à Daniel Lenherr et Anton Ammann, pour cet adoubement, et bienvenu aussi aux huit nouveaux Chevaliers qui ont rejoint notre confrérie ce soir-là.
Dans la cour du Château d’Aigle, entre ces murs centenaires, l’ambiance était un peu étrange : au début un couple de jeunes mariés se pavanant avec leurs invités à côté des artistes de l’exposition « Eros Bacchus – L’amour et le vin », puis chevaliers et commandeurs avec leurs costumes qui traversent cette foule, et tous le verre en main… dont le contenu provenait des vignobles des berges du Rhône, coteaux chablaisiens ou plus méridionaux !
Pour la partie moins officielle mais tout aussi plaisante, bonne chère et bons vins étaient aussi au rendez-vous. Cette fois je me suis particulièrement régalé avec les vins blancs et leurs mets associés… De Deurre et le crabe, Chèze et le brie, Cuilléron doux et le mille-feuilles.. de beaux souvenirs à se remémorer désormais en photographies.

La cosmoculture « doliatisée » !

Nous poursuivons la suite de notre voyage dans l’univers de la cosmoculture, et plus précisement au domaine Viret, par une découverte : la vinification en dolia.
La dernière innovation de Philippe Viret est de réaliser (suite à une dégustation à l’aveugle de vin sicilien produit en amphore) la fermentation et l’élevage de ses vins en amphores ou plus précisément en dolia. Cette amphore qui était le contenant utilisé notamment à l’époque romaine devait revenir au domaine Viret car n’oublions pas qu’au même endroit était implanté un ancien camp romain.
Les deux premières vinifications (2005-2006) ont été réalisées dans 4 amphores de 320l en provenance d’Andalousie  dans  le sud  de  l’Espagne .
Ces deux premières années ont permis d’observer les principes fermentaires en  amphore, à savoir une   oxygénation importante, une fermentation moins active et à plus basse température ce qui est favorable à la préservation des saveurs primaires du raisin, un besoin d’élevage moins long mais aussi un travail plus fastidieux, car toutes les opérations comme le remplissage, le pigeage, le décuvage sont manuelles.
Sur la base de ces observations, il décida de pousser encore plus loin cette expérience et de créer ses propres amphores, avec la collaboration d’Alain Barthéas, potier à Séguret qui s’était déjà, dans le passé, lancé dans un projet similaire. Il a réalisé un projet de dolia parfaite dans ses proportions, conforme au nombre d’or comme à la cave. L’ouverture en avait été modifiée pour faciliter le travail, la forme s’en était arrondie pour favoriser les mouvements du vin. Une dolia est fabriquée à partir de 220 kilos d’argile provenant de différents prélèvements effectués sur le domaine. Après cuisson, une belle pièce pèse encore 180 kilos. Toute une technique de fabrication a dû être mise en place, du choix de la terre pour l’usage alimentaire et vinicole à la fabrication d’un gabarit ; le collage à la corde de l’argile, sans oublier les cycles de cuisson et de séchage. Au final, c’est une belle réalisation qui semble posséder une véritable force.
Après les vendanges elle est emplie de raisins sélectionnés provenant de plusieurs parcelles ; quatre cépages rouges naturellement peu réducteurs : grenache, syrah, mourvèdre et carignan ,en proportions égales. Les raisins sont éraflés puis mis en amphore ouverte au départ ; ensuite elle est fermée avec un contrôle de la micro-oxygénation. Grâce à l’échange thermique entre la cave et la terre cuite, les fermentations se font à basse température, la transformation des sucres s’opère doucement. L’oxygénation permanente, du fait de la porosité de la terre cuite, affine les arômes, arrondit le vin. Après douze mois en dolia celui-ci est déjà abouti, ouvert, il n’a pas besoin d’élevage supplémentaire.
A ce jour vingt dolias de 420 litres, toutes numérotées en chiffres romains, ont été réalisées. Des essais avec différentes argiles, donc différentes porosités, sont réalisés sur l’oxydo-réduction ainsi que sur l’élevage. Les expériences continuent aussi avec des cépages blancs qui restent eux environ six mois en amphores.
En ce moment il existe une mode sur les vins vinifiés en amphores, dans des jares de terre cuite, des œufs en béton… des vignerons opportunistes peuvent aussi usurper le nom de ce genre de vinification, voulant profiter des prix élevés pratiqués sur les bouteilles vendues. En effet, la fabrication de ces contenants artisanaux, le surcoût du travail entièrement manuel se répercutent sur le prix de vente. En tous les cas ce sont des vins à découvrir, en toute connaissance de cause, car ils sont forcément différents des autres vins ; après c’est au dégustateur de se laisser surprendre et le critère incontournable sera le plaisir qu’ils pourront nous procurer lorsqu’on les boira.
Pas facile de conclure sur la cosmoculture, tant d’incertitude, de nouveauté, d’irrationnel, d’ésotérisme se mélangent. Qui sont ces Viret ? Des sorciers, des marginaux, des visionnaires, des druides qui attirent les énergies cosmiques ?… Avant tout, ce sont des vignerons ! Des vignerons pratiquant la biodynamie, dans le respect de la nature et proposant des vins naturels. La cerise sur le gâteau : ils croient aux énergies invisibles et à leurs bienfaits sur les vins.
J’avoue que  malgré  les  explications « scientifiques», les schémas, les publications, les références, mon esprit parfois trop cartésien n’a pas tout compris, mais il faut parfois accepter de ne pas comprendre et de croire … Croire que ça peut marcher, que la différence peut être une autre source de culture, que parfois la nature peut être plus forte que la technologie et surtout que le vin peut être bon.
J’ai eu la chance de déguster plus d’une douzaine de vins du domaine Viret et il est difficile de donner son avis car c’est parfois déroutant, surprenant, et les goûts de chacun peuvent être si différents. Mais les vins que j’ai le plus appréciés en vinification « traditionnelle » ont été : Emergence 2008 rouge, Mareotis 2009 rouge, Colonnade 2009 rouge, des vins qui ont tous en commun une grande amplitude aromatique ; en bouche on leur trouve de la finesse, du fruité, mais aussi de la puissance et de la longueur. Dans les cuvées « Dolia » trois vins à découvrir : Paradis Ambré 2010 blanc, Paradis Rouge 2010 rouge, Terre de Grenache 2009, rouge. Là on est dans un autre monde de saveurs, de textures, et de sensations. Il faut oublier un peu les références traditionnelles de dégustation, et se laisser aller à découvrir des vins différents mais avec des dénominateurs communs : finesse, fraîcheur, fruité.
Un vin c’est un goût, un plaisir, mais c’est aussi un souvenir, une ambiance, une mémoire olfactive et émotionnelle, et lorsqu’on visite le domaine Viret notre esprit ne peut rester insensible, on se pose forcément des questions, on ressent forcément quelque chose, qui remonte lorsqu’on ouvre une bouteille. Ces personnes sont allées jusqu’au bout de leurs idées, de leurs convictions ; et depuis leur village perdu dans la Drôme provençale ils ont réussi à faire connaître leurs vins dans le monde entier de par le concept de la cosmoculture. Alors certes, maintenant, il y a l’aspect communication, événementiel : séminaires, oenotourisme et quelque part un peu le business qui tourne autour mais bravo !… Car il fallait quand même le créer et le réaliser, ce sacré concept.

Carnet de route : « Hotel Sivou »

Si vous chercher un hôtel au départ des Côtes du Rhône… Si vous aimez les bâtisses de charme… Si vous recherchez la campagne…Si vous appréciez la peinture…Si vous cherchez un bon restaurant… Si vous voulez boire un verre sur une grande terrasse… Si vous faites le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle… Je peux vous donnez une adresse d’un hôtel perdu en pleine campagne, un accueil charmant et sympathique, une maison bourgeoise bâtie en 1820 au milieu d’un parc de 4 ha, où différentes bâtisses sont aménagées : le pigeonnier, la bergerie, la remise à foin… Chaque chambre porte le nom d’un artiste peintre : Cézanne, Renoir, Gauguin, Dali, Miro,  Klint, …. Avec un tableau de l’artiste accroché, copie d’une de ses œuvres… au total 84 tableaux affichés dans cette bâtisse, qu’il faut découvrir au gré d’une visite dans les différentes pièces et couloirs.
Au restaurant, vous pourrez profiter de sa grande terrasse pour les belles soirées d’été, mais surtout vous régaler des plats proposés, de grands classiques avec à chaque fois une touche de fantaisie : foie gras avec de la rhubarbe, carré d’agneau en croûte de parmesan, filet de bœuf aux aspergex, entremet à l’ananas et griottines… Mon plat préféré fut la poêlée de Saint-Jacques (normal vu que l’on se trouve sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle) sur son croustillant d’aubergines, accompagné d’un Saint-Joseph blanc 2011 Deschant de Chapoutier  … un grand moment de plaisir…
Maintenant que je vous ai fait bien envie, je vous donne le nom de cet hôtel… Le domaine de la Colombière à Moissieu sur Dolon, soit à environ 20 km à l’est de Péage-en-Roussillon.
Vous pouvez regarder les photos  des vins en dolia du domaine Viret, ainsi que du domaine de La Colombière, sur le site internet de la Baronnie Suisse : http://www.baronnie-suisse.ch

Votre rédacteur
François Sannié francois.sannie@gmail.com
www.baronnie-suisse.ch