Le Grappilleur

Le Grappilleur n°112

« Les bouteilles les plus prestigieuses commencent à exister au moment où on les vide entre amis »
(Paul Bocuse)

Echos de la Baronnie: Joyeux anniversaires… Télécharger le PDF

En effet cette année nous allons commémorer les 45 ans de la commanderie française des Costes du Rhône, et fêter les 25 ans de la baronnie Suisse.
C’est en février 1973, au Château de Rochegude, que quelques compagnons et vignerons décidèrent de faire revivre les confréries du passé, souvent villageoises, en une seule : la « Commanderie des Costes du Rhône ». Représentative de toutes les appellations des Côtes du Rhône, cette Commanderie regroupe aujourd’hui près de douze mille vignerons, et environ quatre mille chevaliers.
La Baronnie Suisse de la Commanderie des Costes du Rhône, elle, fut créée en mars 1993, au Château de Coppet, avec comme mission de faire connaître et aimer tous les vins de la vallée du Rhône. Mené avec empathie par Marcel Baudet puis Serge Ronchi et aujourd’hui par Gérard Carrel, son Petit Conseil (comité) se retrouva tout d’abord régulièrement autour d’une bonne table à l’Hôtel Victoria de Glion, fief du commandeur de la première heure Toni Mittermair, ce qui contribua largement à la bonne entente ! Quant aux chapitres, il se tinrent essentiellement à Montreux, Oron, Glion ou Aigle ; et fallut trouver des sites toujours plus vastes avec le succès régulier de nos manifestations.
A ce jour notre baronnie est composée, d’un consul, d’un consul honoraire, de huit commandeurs, de trois officiers, et de cent nonante et un chevaliers ou gentes dames. Depuis maintenant 25 ans, ce sont presque 400 personnes qui ont été intronisées lors de nos différents chapitres.

Un mariage en vallée du Rhône

En ce début d’année 2018, deux caves gardoises, Tavel et Lirac, ont décidé de s’unir. Ces deux caves coopératives ne sont distantes que de quelques kilomètres et leurs vignobles sont situés l’un en face de l’autre. Donc c’est un mariage de raison, le but étant d’optimiser les moyens techniques, regrouper les ressources humaines et proposer une large gamme de vins de la rive droite du Rhône : les crus AOC Tavel et Lirac, les AOC Côtes du Rhône Villages Laudun et Signargues, l’AOC Côtes du Rhône, les IGP Gard et Oc.
Mais qu’apportent donc les jeunes mariés dans leur corbeille de mariage ? La cave « Les vignerons de Tavel », située à Tavel, a été créée en 1937 par quelques vignerons audacieux, juste après la création de l’appellation. Déjà en 1928, les vignerons de Tavel obtiennent une délimitation de l’aire d’appellation TAVEL, puis obtiennent en 1936 le classement en A.O.C (1ère AOC Française à être reconnue en rosé). Tavel est toujours la seule appellation de la vallée du Rhône à ne produire que des vins rosés. La Cave des Vignerons de Tavel représente la moitié de l’appellation Tavel et dispose de 600 hectares de vignes, dont l’’encépagement est composé principalement de Grenache, Cinsault, Syrah et Mourvèdre. Une soixantaine de vignerons récoltants et vingt salariés forment l’équipe de la Cave Coopérative. L’élaboration de rosé est majoritaire à la cave (Tavel, Côtes du Rhône rosé, Vin de pays rosé). Mais il y a aussi d’autres appellations qui sont vinifiées en rouge et en blanc (Lirac, Côtes du Rhône Village, Côtes du Rhône, vin de pays). Au total, c’est 1.8 millions de bouteilles qui sont produites chaque année et commercialisées dans le monde entier. La cave des « Vins du cru de Lirac », située à Saint Laurent des Arbres, existe depuis 1947, date de la création de l’AOC Lirac. Son vignoble couvre 300 hectares, dont 100 hectares consacrés à l’AOC Lirac, et regroupe une cinquantaine de vignerons. Sa production est d’environ 13’000 hectolitres par an (2’500 hl en cru Lirac, 2’500 hl en vin de pays, 8’000 hl en AOC Côtes du Rhône). La cave coopérative produit en majorité des rouges (87%) mais aussi des blancs et des rosés. Sa capacité de production est de 15’000 hl pour sa cuverie dédiée aux vins rouges, et 7’000 hl pour la cuverie consacrée aux vins blancs et aux vins rosés. De cette fusion, va naître une nouvelle entité, qui s’appellera : « Cave des vignerons de Tavel et Lirac ». Cette nouvelle cave regroupera quatre-vingt-dix vignerons-coopérateurs, 900 hectares de vignes et 36 000 hectolitres de vin produit. Les productions de ces deux caves étaient complémentaires, avec Tavel, très marqué dans les vins rosés et les vins blancs, tandis que Lirac est plutôt tourné vers les vins rouges. Le but de cette union et de trouver des synergies, et de créer une cave leader des côtes du Rhône sur la rive droite gardoise. Cela permettra de proposer une palette de vins complémentaires mais avec la même identité, et d’avoir une belle image sur cette gamme, pour développer le marché national ainsi que l’exportation.

Vins mutés sur grains

Peut-être avez-vous eu l’occasion de déguster lors de notre dernier chapitre d’automne, le vin Substantia du domaine Boisson à Cairanne. Ce rouge VDN (Vin Doux Naturel) avait la particularité d’être muté sur grains, et son créateur, M. Bruno Boisson, était intarissable sur les bienfaits de cette technique de vinification … Mais avant de vous décrire plus en détail ce procédé, faisons un peu d’histoire.
Depuis l’antiquité, dans le bassin méditerranéen, les vins doux étaient fort appréciés et la production en était assez importante. Ceux-ci étaient obtenus, par la vinification de raisins surmaturés.
Mais au 13ème siècle, un médecin et alchimiste, Arnaud de Villeneuve, va faire une découverte : le mutage ! Considéré comme le plus éminent médecin de son siècle, il travaillait notamment sur les procédés de distillation grâce aux relations qu’il avait avec les alchimistes arabes qui maîtrisaient cette technique depuis déjà quelques siècles. Il distilla de l’alcool, et procéda à des macérations de végétaux, pour réaliser des eaux de vie qu’il employait en médecine.
Quel rapport avec le vin ?… Eh bien il fut le premier à distiller du vin pour obtenir de l’eau de vie, (ce nom « eau de vie » a été inspiré du fait que l’alcool donnait une certaine vigueur ou excitation). Il découvrir qu’en le mélangeant avec le moût en fermentation, cela neutralisait totalement les levures. Cela avait plusieurs avantages ; tout d’abord obtenir une boisson alcoolisée douce et sucrée, et surtout avoir un vin stable, donc sans risque que se produise avec le temps une deuxième fermentation en bouteille ou que celui-ci tourne en vinaigre. Le mutage du vin était né !…. Savez-vous d’où vient le nom «mutage » ? En fait quand le vin fermente, il pétille, il y a du dégagement de gaz, lorsque l’on arrête la fermentation avec l’alcool… on rend le vin muet, d’où l’origine du mot mutage. Les vins mutés, peuvent être blancs, rosés, ou rouges, ils sont tous assez sucrés, avec une palette aromatique très complexe, et un taux d’alcool entre 15% et 18% vol. Si le principe de base reste le même (ajout d’alcool neutre pendant la fermentation), il y a différentes techniques.
Tout d’abord les vins de liqueurs (VDL) qui, en fait, ne sont pas vraiment des vins… car l’ajout de l’alcool est réalisé avec le moût, donc avant que celui-ci ne fermente… mais c’est considéré comme un vin doux !
Ensuite il y a le mutage sur vin, appelé aussi mutage en phase liquide. Le principe est le suivant : d’abord il y a égrappage et foulage des raisins, puis macération, fermentation, pressurage et mutage du vin.
Enfin il y a le mutage sur grains, appelé aussi mutage sur marc. Dans ce cas l’ordre est un peu inversé, pour l’égrappage et le foulage des raisins noirs, c’est toujours fait en premier, mais ensuite on va procéder au mutage pendant la fermentation alcoolique, puis suivra la macération et enfin le pressurage.
Pour complexifier encore un peu cette vinification, va suivre la période d’élevage, qui pourra être plus ou moins longue, et soit en milieu oxydatif, soit en milieu réducteurs.
Les vins doux naturels (VDN) en vallée du Rhône sont : Beaumes-de-Venise, Rasteau, Rasteau Rancio (élevage oxydatif). Cairanne n’ayant pas droit à l’appellation VDN, notre ami vigneron Bruno Boisson, vend son vin sous la dénomination : Vin Doux Naturel, Produit de France.
Mais quels sont les avantages du mutage sur grains ? Selon ce procédé, par définition, le liquide (moût et alcool) est en contact avec les matières solides (pulpe, peau et pépin). Cette macération va durer en général, entre deux et trois semaines, durant lesquelles le vin va infuser ! Ce qui va favoriser l’extraction des substances aromatiques, et donner des vins avec une grande puissance et une large palette d’arômes. Ensuite ce contact prolongé va favoriser aussi l’extraction des anthocyanes, donc des vins très colorés, et aussi apporter beaucoup plus de tanins ce qui est appréciable au niveau gustatif pour contrebalancer la douceur du sucre, mais surtout permettre d’obtenir des vins de longue garde qui pourront évoluer au fil du temps. Par contre, pour pouvoir effectuer du mutage sur grain, il faut que la vendange soit particulièrement soignée et les grappes en excellente qualité sanitaire. Cela nous amène naturellement à parler des raisins. Le cépage de prédilection pour ce genre de vin est le grenache noir. C’est un cépage très résistant à la sécheresse qui peut être récolté tardivement et qui, allié à une maturation lente, va pouvoir produire une importante quantité de sucre. Ses baies sont pulpeuses, juteuses, très fuitées, avec une peau noire capable de transmettre de la couleur. Son seul petit défaut, c’est qu’il donne des vins peu acides, acidité souvent nécessaire sur les VDN si l’on ne veut pas avoir des vins trop lourds ou écœurants. Avec cette infusion du mutage sur grains, les VDN de grenache noir donneront d’abord des arômes de fruits noirs, cassis, cerise noire, pruneau. Puis selon l’élevage nous aurons des notes de fruits confits, de fruits compotés pouvant aller sur le cacao. Bref tout cela nous fait saliver d’envie, alors je vous laisse redécouvrir, ces vins doux naturels mutés sur grains et, qui sait, peut-être bientôt en goûter lors d’une prochaine dégustation.

Votre rédacteur
François Sannié francois.sannie@gmail.com
www.baronnie-suisse.ch