Le Grappilleur

Qu’est-ce que la salinité dans le vin ? (Grappilleur n°129)

La salinité dans le vin est un sujet qui peut paraître mystérieux. Le goût de salé, on le connaît bien, on a tous bu la tasse dans la mer. Et pourtant, lorsqu’on goûte un vin, on n’utilise pas le mot «salé» pour le définir, on dit que c’est «salin». Cela démontre qu’on a senti une différence entre le salé du vin et le salé de la mer, sans vraiment savoir laquelle.

Essayons de creuser un peu ce mystère pour se rendre compte qu’il n’y a pas une salinité, mais bien plusieurs salinités, qu’il faut apprendre à identifier. La clé du succès de cet exercice, c’est d’apprendre à utiliser les bons mots. On mélange souvent les concepts parce qu’on n’a pas les mots justes.

Les quatre saveurs principales, vous les connaissez: sucré, acide, salé et amer. Depuis les années 90, on sait qu’il y a une cinquième saveur en bouche qui s’appelle l’umami. De quoi s’agit-il?

Pour les Occidentaux que nous sommes, ce n’est pas simple. La présence d’un capteur dans notre bouche, sur nos petites papilles, nous permet de détecter des acides aminés. Et il y a un acide aminé prépondérant, c’est le glutamate. Les acides aminés sont les briques qui composent nos protéines. Comme tous nos muscles sont faits de protéines, il est donc normal que, dans notre alimentation, on ait un capteur en bouche pour chercher les briques qui composent les protéines.

Ce capteur de l’umami détecte principalement cet acide aminé qu’est le glutamate. Sachant qu’il y en a 21 dans notre corps, il détecte aussi certains nucléotides, ces briques qui composent notre matériel génétique, notre ADN, composé de nucléotides. Enfin, notre récepteur de l’umami est également capable de détecter un acide issu de la fermentation que l’on appelle l’acide succinique.

Dans notre alimentation, on trouvera par exemple des protéines dans la viande ou le fromage. Pour que ces protéines donnent naissance au glutamate, il faut un processus permettant de casser ces protéines.

Ainsi, chaque fois qu’on va goûter l’umami, c’est dans des composés riches en protéines, comme le parmesan, un fromage qui a subi un processus de maturation qui va permettre de casser ces protéines en petits morceaux et de libérer ce glutamate.

Quand vous prenez un gruyère, on y trouve parfois des petits cristaux blancs. Ce n’est pas du sel, c’est de la tyrosine, un des 21 acides aminés de notre corps. S’il y a de la tyrosine qui est libérée, ça veut dire qu’il y a d’autres acides aminés qui sont en train d’être libérés, et qu’il y a de grandes chances qu’il y ait du glutamate prêt à être dégusté. Pareil pour un vieux jambon. Parfois, vous avez aussi ces petits cristaux blancs. C’est seulement pendant le processus de séchage et de maturation qu’on libère du glutamate.

Dans le vin, il n’y a pas de protéines. Qu’est-ce qui apporte de l’umami dans votre nectar ? D’abord les levures. L’élevage sur lies, que ce soit en cuve, en barrique ou en bouteilles, est un phénomène qui va générer des composés de type glutamate, de type nucléotide.

Il existe un autre phénomène plus indirect, le terroir. Les levures prennent des voies métaboliques différentes en fonction du substrat qu’on leur donne. On sait que dans certains terroirs, en particulier des terroirs très pauvres, très drainants, comme les sols granitiques, les sols sableux, il y a parfois des carences en azote. Cela donne des moûts qui ne sont pas faciles à fermenter. Dans ces situations de fermentation un peu difficiles, la levure essaie de chercher de l’azote dans son répertoire, et ce faisant, elle fabrique beaucoup d’acide succinique. Donc : terroir pauvre, peu de sol, pas d’azote, très peu d’ions minéraux et un goût um ami un peu salé. Il y a là un paradoxe rigolo : sols pauvres, peu de minéraux et pourtant j’ai un goût salé.

Que faut-il retenir dans cette équation sur les salinités du vin ? On a, d’une part, des éléments minéraux qui vont venir exclusivement du sol et on a, d’autre part, des composés purement organiques (du carbone, de l’oxygène et de l’hydrogène).

Donc, quand on retrouve un goût salé dans un vin, attention à ne pas tomber dans le piège de penser que ça vient du sol. La genèse de ces composés umami, c’est typiquement l’influence du vigneron qui a, avec son travail d’élevage, son travail de fermentation, guidé le vin pour une expression plus ou moins umami.

Si vous percevez dans un vin une finale saline, ce n’est certainement pas du sodium, c’est soit du calcium ou du magnésium, soit de l’umami. Comment faire pour séparer les deux ? Il y en a un qui peut être un peu amer, asséchant par exemple, alors que l’autre est beaucoup plus persistant et enveloppant.

Pour les accords mets-vins, c’est top, car ça met la bouche dans une disposition très confortable. À vous de jouer…

Source : Revue des Vins de France