Lirac, le terroir aux trois couleurs (Grappilleur n°132)
L’appellation Lirac recouvre une zone de production viticole sur quatre communes : Roquemaure, Saint-Laurent-des-Arbres, Saint-Geniès-de-Comolas et Lirac, lovées au creux de l’anse que forme le Rhône juste en face de Châteauneufdu-Pape. Il semble d’ailleurs que le grand fleuve passait -il y a 400 000 ans quand même! en ligne droite de Saint-Laurent-des-Arbres à Avignon, avant de réussir à creuser son arc plus à l’est en terrain provençal. Ce changement de cours a doté Roquemaure et sa région d’une grande variété de terrains sur les 850 hectares de l’AOC : calcaires et argileux sur les pentes et les terrasses, alors que la plaine et les contreforts laissent apparaître cailloux, sables et même galets roulés. Le climat méditerranéen garantit une moyenne de 220 jours de soleil, accompagnés par 180 jours de mistral et d’une pluviométrie modeste. Impossible de faire des vins mono-cépages avec un tel climat, ce qui explique l’étendue de la palette de cépages utilisés : mourvèdre, grenache, cinsault, syrah, counoise, piquepoul noir et blanc, carignan, bourboulenc, viognier, marsanne, grenache gris et blanc, roussanne et clairette.
La région a produit depuis des temps immémoriaux des vins appréciés, qui s’exportaient par les deux débouchés qu’offrait le port de Roquemaure: vers les royaumes du Nord en transitant par Lyon, vers l’Italie et la Papauté à travers le port de Marseille. Le duché d’Uzès, dont Lirac dépendait, a été pendant le Moyen-Âge et la Renaissance le théâtre d’affrontements violents– et notamment les interminables guerres de religioncontribuant finalement à sa mise sur tutelle de la couronne de France. Dans les siècles qui suivent, la région retrouve tellement de calme qu’elle se fait un peu oublier. La réputation du vin de Roquemaure perdure pourtant et continue à faire vivre la région jusqu’à la Révolution. Les conditions économiques deviennent par la suite plus difficiles, les débouchés se réduisent et les producteurs se tournent notamment vers la sériciculture pour l’industrie plus florissante de la soie. Cette fois, le rebond va venir de l’autre côté du Rhône, à un jet de galet roulé.
Dans le même temps, les vins de la rive gauche, moins connus, étaient parfois écoulés auprès des Bordelais et Bourguignons pour redonner du goût et de la couleur à leurs productions lors des mauvaises années. Comme le dit joliment Bernard Pivot dans son Dictionnaire amoureux du vin (Plon 2006), « la charité chrétienne commença à décliner à la fin du XIXème siècle », des personnalités visionnaires comprirent que le temps était venu de redonner aux vignobles des Côtes-du-Rhône leurs lettres de noblesse. La société était en train de changer, une nouvelle classe d’entrepreneurs visionnaires développaient de nouveaux débouchés. Parmi eux, le normand Pierre Le Roy de Boiseaumarié, ancien pilote de l’armée devenu vigneron à Châteauneuf-du-Pape, comprend la nécessité de fixer un cadre garanti par l’État. Ses efforts contribuent à la création de l’INAO en 1935. Henri de Regis, propriétaire sur la commune de Lirac, lui emboite le pas pour demander le classement des vins de la rive droite. Quelque peu retardé par la Seconde Guerre, son projet se concrétise finalement en 1947 avec la création de l’AOC Lirac, dite des « trois couleurs ». Même si le rouge reste largement majoritaire avec plus de 80% de la production, une cinquantaine de vignerons s’attachent à l’exploitation de la variété unique des terroirs pour ces rouges, rosés et blancs magnifiques dont nous profitons désormais.